Les sept degrés de l'Amour II, par le Bienheureux Jean de Ruysbroeck l'Admirable


CHAPITRE IX - Comment les esprits angéliques, surtout les premières et secondes Hiérarchies, se conduisent vis-à-vis de nous ; et de la mutuelle complaisance des rapports intérieurs entre Dieu et l'âme sainte

Les esprits de la suprême hiérarchie, à savoir : les Trônes, les Chérubins et les Séraphins, ne luttent pas avec nous contre nos vices, afin que nous l'emportions sur eux, mais ils vivent avec nous, dès que nous nous sommes élevés au-dessus du combat, demeurant toujours avec Dieu dans la paix, dans la contemplation et dans l'amour. Mais les esprits de la hiérarchie moyenne, à savoir : les Principautés, les Puissances et les Dominations, combattent avec nous, contre les démons, le monde, tous les genres de vices, et tout ce qui, dans le service de Dieu, peut s'opposer à nous ; et de même ils nous disposent, nous règlent, nous modèrent, et nous sont secourables, pour (parachever) accomplir la vie éternelle ornée de toutes les vertus. Comment nous sommes les rois du monde et les vainqueurs du Démon. C'est pourquoi si, munis de la divine grâce et de l'aide des anges, nous vainquons le monde et nous méprisons tout ce qui est dans le monde, nous sommes déjà les rois et les princes du monde, le royaume des cieux est à nous ; et l'ordre des Principautés, qui est le quatrième, nous sert pour l'honneur de Dieu. Et si pour l'honneur de Dieu, du fond du coeur, nous nous mettons au-dessous de toutes les créatures, nous nous condamnons et nous nous humilions, alors nous sommes les vainqueurs du démon et de toute sa puissance : les Puissances, qui constituent le cinquième choeur ou le cinquième ordre, sont nos compagnons ; et ils nous servent dans les exercices intérieurs, pour notre victoire et la dignité de Dieu. Ce qu'exigent l'esprit de la justice de Dieu et notre humilité. Mais, si quelqu'un se méprise et se met au-dessous de tous ceux qui sont bons, de telle sorte qu'il n'ose se comparer à aucun homme de bien par ses vertus, celui qui ne veut juger personne et ne condamner que lui-même, et quelque vertu qu'il professe, trouve qu'il a fait peu de chose ou rien, de telle sorte que, tant les esprits de la divine justice que ceux de son humilité, ne le laissent pas en repos, lui rappelant toujours dans son coeur, qu'il vive pour Dieu et le serve, rongeant le coeur de ses entrailles et consumant les moelles de ses os, parce que sa faim et son désir de servir Dieu est si grand, que tout ce qu'il peut faire de bien il le fait incessamment, et qu'il n'est pas
tranquille et paisible, qu'il s'indigne et s'insurge contre lui-même, de ce qu'il n'a pu accomplir cette oeuvre, de telle sorte qu'elle lui paraisse suffisante, car toute complaisance naturelle envers lui-même et toutes les créatures est morte et évanouie en lui, et il ne connaît et ne sent rien autre chose que ces voix puissantes qui résonnent dans son coeur et lui disent : Vis et sers Dieu ! et lorsqu'il ne peut le faire selon son voeu, il n'éprouve pour lui-même que haine et mépris, parce que l'esprit du Seigneur demande sans cesse de son désir, une nouvelle marque de soumission, un nouveau témoignage d'honneur ; et il peut l'accomplir et le rendre beaucoup mieux que lui-même ; car tout ce qu'il donne lui fait une obligation plus étroite ; et de là vient, que ce même désir se change en une certaine impatience : Alors ce qui est exigé par Dieu, l'homme humble s'aperçoit et considère qu'il ne peut le faire ; et prosterné humblement aux pieds du Seigneur, il dit : Je ne puis faire assez pour toi, ô Seigneur ! c'est pour quoi me méprisant moi-même, je me donne à toi ; fais avec moi tout ce que tu voudras.

Quelle résignation plait à Dieu.
Dans cette humble résignation, le Seigneur répond ainsi : Tu me plais assez par ta résignation et ta confiance ; c'est pour quoi je te communique mon esprit de liberté et de vérité, afin que moi seul je te plaise uniquement, plus que tous les actes bons et tous les exercices des vertus. Complaisance mutuelle entre Dieu et l'homme qui l'aime, racine de toute sainteté. Cette complaisance entre Dieu et l'homme ainsi libéré et humble, est la racine de la charité et de toute sainteté, dans la vie intérieure. Et dans cet exercice de complaisance, celui qui est ainsi ne peut être combattu et tenté par aucun vice ; car tous les ennemis fuient loin de lui, comme les serpents de la vigne fleurissante. De même, cette mutuelle complaisance entre Dieu et un homme de cette sorte, est une action et une oeuvre excellente et très belle dans la vie intérieure ; et par elle, toutes les vertus et toutes les bonnes oeuvres sont bien traitées et parfaitement ordonnées. Car Dieu donne sa grâce, et l'homme intérieur donne à son tour à Dieu toutes ses oeuvres ; et ainsi, aussi bien la grâce que les actes bons, augmentent toujours et se renouvellent. Colloques amicaux de Dieu et de l'homme en esprit. Car Dieu parle intérieurement à l'homme intérieur : Voici que je communique ma grâce, donne à ton tour tes oeuvres. Et de nouveau, il parle dans la complaisance de son libre désir : Lorsque tu t'es donné à moi, je me donne à toi. Si tu veux être mien, je serai tien. Ces amicales questions et réponses sont faites et rendues, non extérieurement par des paroles, mais intérieurement, en esprit. Alors l'âme aimante répond à Dieu : Tu vis en moi, en vérité, ô Seigneur, par ta grâce ; et tu me plais uniquement et au-dessus de tout. Je suis contraint de t'aimer, de te rendre grâces et de te louer, et je ne puis ne pas le faire, puisque c'est ma vie éternelle. Tu es ma nourriture et mon breuvage, et plus je mange de cette nourriture et plus je me désaltère de ce breuvage, plus j'ai faim et j'ai soif ; plus je possède, plus je désire. Tu es plus doux à mes lèvres que le miel. Et parce que je ne puis te consumer, la faim et le désir durent toujours en moi. Je ne vois pas clairement si tu me manges, ou si tu es mangé par moi, lorsque je parais éprouver les deux, au fond de moi-même. Quand l'âme dévote interrompt à regretles exercices de piété. Mais tu exiges que je sois un avec toi ; et cela est pour moi une dure croix, car je ne veux pas quitter mes exercices, et ne pas dormir dans tes bras. Je ne puis pas en effet ne pas te louer, ne pas te rendre grâces, ne pas t'honorer puisque c'est là ma vie éternelle. Je sens en moi une certaine impatience et j'ignore ce que c'est. Si, en vérité, je pouvais arriver à ne faire qu'un avec toi ; afin de persévérer toujours dans mes actes, je ne demanderais pas autre chose. Mais toi, ô Seigneur, qui connais les nécessités de tous, tu fais avec moi tout ce que tu trouves bon, je me mets entre tes mains, pour que je devienne forte et magnanime dans tous les afflictions et toutes les souffrances. A cela l'esprit du Seigneur répond, non en vérité extérieurement par des paroles, mais intérieurement, pour faire sentir (son action) dans les replis les plus intimes de l'âme qui est ainsi : Je suis en effet, à toi, très chère âme, et toi tu es à moi, et je me donne intérieurement à toi, au-dessus de tous mes dons, et j'exige aussi que tu viennes en moi au-dessus de toutes tes actions. Alors, dès que l'âme dévote et adonnée à la vie intérieure satisfait à ce divin traité, en se livrant librement à l'esprit de Dieu, elle éprouve un amour inépuisable et infini qui la pénètre entièrement : et, dès qu'elle est élevée dans l'esprit de Dieu au-dessus d'elle-même et de tous les dons, elle goûte une joie infinie, qu'elle ne peul contenir, et dans laquelle elle est comme plongée et liquéfiée. Ainsi donc l'âme dévote et adonnée à la vie intérieure, sous les aspects de l'amour, est environnée et comme enveloppée d'un immense et inépuisable amour et d'une joie infinie. Mais cela ne dure que peu d'instants. L'amour ne peut rester oisif. Car l'amour ne peut rester oisif : c'est pourquoi il crie à haute voix dans cette âme : Rends grâces et louanges, et honore ton Dieu ; et l'amour ne le conseille pas seulement, mais il le commande. Mode de vie intérieure le plus excellent. Ce mode d'exercice intérieur est très parfait, très excellent, et proche je de la vie contemplative. Lorsque nous l'avons atteint, nous sommes semblables aux esprits du sixième ordre, que l'on appelle Dominations, parce qu'ils dominent les cinq ordres d'anges inférieurs. Et ce mode est supérieur et plus excellent, que tous les exercices que l'on peut suivre dans la vie intérieure.


CHAPITRE X - De la double voie tracée par le Christ, soit en paroles soit en actions, à savoir : Celle des commandements et celle des conseils

Quelle est la voie des conseils de Dieu.
Le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, nous a enseigné, non seulement en paroles mais aussi en exemples, deux voies par lesquelles nous sommes conduits à la vie éternelle, si toutefois nous ne refusons pas de le suivre.

La première voie est celle des commandements, l'autre celle des conseils. Car il dit lui-même : Math. 19-21 Si tu veux être parfait et devenir mon disciple, abandonne tout ce que tu possèdes par amour, ton père, ta mère, tes soeurs, tes frères, tes enfants, ta maison, ton patrimoine, tout ce que le monde possède et qui peut te nuire dans les exercices intérieurs envers Dieu. Jean 20-2. Car il importe que tu laisses et que tu méprises tout cela, si tu veux m'imiter et suivre mon exemple. Et de même que mon Père m'a envoyé, moi je t'envoie. Luc 9-3. Moi-même je n'ai pas eu de quoi reposer ma tête. Ainsi donc il ne te sera pas permis, à toi non plus, de conserver et de retenir ce que tu possèdes avec affection, délectation et amour ; mais tu dois renier et répudier toutes choses, si tu veux progresser dans la vie intérieure. 2 Cor. 6. Si tu peux le faire, tu es certainement mon disciple ; et pauvre d'esprit, tu es le roi et le seigneur du monde entier que tu as vaincu. Et bien que tu n'aies rien en propre, cependant tu possèdes tout en Dieu, de qui tu as reçu les forces et la faculté de vaincre. Et de nouveau le Christ parle : Abandonne tout ce que tu possèdes avec amour, viens et suis-moi ; c'est-à-dire, par cela même que tu as abandonné toutes choses, ne te complais pas en toi-même, mais attribue l'honneur à Dieu. Ainsi fit le Christ, comme en témoignent les paroles dans lesquelles il dit : Jean 8-50. Je ne cherche pas ma gloire, mais j'honore mon Père. Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien: Si ego glorifico meipsum, gloria mea nihil est. Celui qui agit ainsi, est semblable, pour cela même, au fils de Dieu qui donne la sagesse aux humbles. Or, le Christ dit : Celui qui veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, porte sa croix tous les jours, et Me suive : Luc 9-23. Qui vult venire post me, abneget semetipsum, tollat crucem suam quotidie et sequatur me. Notre Seigneur Jésus-Christ fit cela lui-même, lorsque, se renonçant, il livra aux mains de ses ennemis son corps, pour qu'il subit la mort, et il résigna sa volonté entre les mains du Père. Et ensuite, après qu'il eut résigné tout ce qu'il était et tout ce qu'il pouvait, il s'écria d'une voix haute : Tout est consommé ! et ayant incliné la tête, il rendit l'esprit : Jean 19-30 Consummatum est, et inclinato capite emisit spiritum.

Ce que requiert la perfection de la charité et de la vie intérieure.
C'est ce que nous devons faire nous aussi, si nous voulons être parfaits dans la charité et la vie intérieure. Il importe, en effet, que nous nous renoncions, que nous nous résignions à la gracieuse volonté de Dieu, et que nous soyons prêts à souffrir volontairement la mort, soit pour l'honneur de Dieu, soit pour la cause du prochain, si par là nous pouvons les conserver pour la vie éternelle.

C'est ainsi, en effet, que nous avons une parfaite charité envers Dieu et le prochain, et que nous sommes semblables au Saint-Esprit, qui exerce tous les actes de l'amour, et les perfectionne en vue de la vie éternelle. Ces trois choses observées sans feinte devant Dieu, sont les conseils de Dieu, et les voies cachées qui conduisent vers lui, ne sont découvertes et explorées que par un petit nombre. Car, si la pauvreté extérieure est destituée des exercices intérieurs et des autres vertus, elle ne peut découvrir cette route. Au contraire, si quelqu'un use prudemment et religieusement des richesses, et les distribue libéralement aux pauvres pour l'honneur de Dieu, il peut trouver cette voie inexplorée et inconnue de ceux qui feignent, et qui sont pauvres malgré eux et contre leur volonté. Quelle est la voie des commandements. Mais la vie commune, qui nous conduit à Dieu, est le chemin des commandements de Dieu, desquels le Christ dit : Si tu veux rentrer dans la vie, observe mes commandements : Math. XIX 9-17 Si vis ad vitam ingredi serva mandata. Et de même : Si vous observez mes commandements, vous resterez dans ma dilection, comme moi, j'ai observé les commandements de mon Père, et je reste dans sa dilection : Joan XV 10 Si praecepta mea servaveritis, manebitis in dilectione mea, sicut et ego praecepta Patris mei servavi et maneo in ejus dilectione. Math. XXII 37-39 Car la charité ou l'amour est le premier et le plus grand commandement. Mais celui-là seul peut aimer, qui a la foi chrétienne. Tout est possible au croyant, mais l'infidèle, l'incrédule, est un tison de l'enfer. Si donc tu veux observer les préceptes de Dieu, il est nécessaire que tu croies et que tu te confies à Dieu. La foi seule ne suffit pas. Mais ne pense pas que ce soit assez, en outre, il faut que tu expurges ta conscience des péchés, selon le décret de la loi chrétienne, la règle et l'institution de l'Eglise Catholique : pour cela, il faut que tu sois doué de bonne volonté, et que tu sois soumis et obéissant, non seulement à Dieu, mais à tes évêques dans toutes leurs institutions, leurs règles, et les exercices auxquels on vaque communément dans la sainte Eglise ; et cela, selon la faculté et le véritable discernement de tes forces, selon les usages et les coutumes des hommes justes avec lesquels tu vis, du pays et de la région où tu habites. Apprends les dix commandements, et conformes-y ta vie. Fuis et évite les sept péchés mortels, de peur qu'ayant offensé Dieu, tu mérites les peines de l'enfer. Observe le jeûne, sanctifie les jours de fêtes ; et montre-toi prompt et obéissant dans toutes les oeuvres bonnes. Sois fidèle à ton Dieu et à toi-même dans tous les actes bons, comme un bon serviteur à son maître, jusqu'à ce qu'il te reçoive, près de lui.

Premier et deuxième degrés de la vie active.
C'est là, la vie des commandements de Dieu à laquelle nous sommes tous obligés. Et pour ce motif, tous les anges d'ordre inférieur nous servent, afin de nous conduire, immaculés et purs de tous vices, en la présence de Dieu notre Seigneur. Et c'est le premier degré et le mode inférieur dans la vie active par laquelle nous sommes semblables aux esprits inférieurs du ciel, qui sont appelés anges, c'est-à-dire envoyés. Suit un deuxième degré et une voie plus haute de la vie active, à savoir : la patience innocente. Car l'innocence est fille de la charité, et la patience est sa soeur; et par ces trois (vertus), avec la grâce de Dieu, se font toutes les oeuvres "bonnes ; car elles répriment et modèrent tous les penchants désordonnés de la nature. Toute distinction des vertus est simple dans la patience innocente. Celui qui est tout à la fois innocent et patient, vit dans la paix du Seigneur : si toutefois il est humble, doux, obéissant, bon, pieux, libéral, honnête de moeurs, simple, patient, facile et aisé dans toutes les bonnes oeuvres. Il n'est pas seulement docile, mais encore le disciple du Seigneur lui-même, recevant toujours de Dieu la discipline de la paix véritable. De cette manière, dès que tu seras établi et bien affermi dans les vertus, tu atteindras le deuxième degré, et tu seras semblable au deuxième ordre, celui des Archanges qui gouvernent et dominent les esprits inférieurs de la première hiérarchie. Et tu es alors élevé au-dessus de tous ceux qui sont placés dans l'ordre inférieur des bonnes actions et des bonnes oeuvres, dans lequel on peut se sauver. Troisième degré dans la vie active. Suit un troisième degré, dans lequel toute la vie active agréable à Dieu est accomplie et consommée. Quel est celui qui plaît à Dieu. Lorsque donc l'homme simple et craignant Dieu observe la loi et les préceptes de Dieu, non par une habitude stérile, ni guidé par la crainte, mais parce que Dieu le veut et l'ordonne : alors il est bon et il plaît dans l'ordre inférieur de la bonne vie. Lequel lui plaît davantage. Ensuite, dès qu'il monte plus haut et qu'il est orné intérieurement de nombreuses vertus, afin de se rendre semblable à Dieu, aux esprits angéliques, aux saints et à tous les bienheureux ; et que pour des vertus, il expérimente la haine des vices, la vie éternelle, la paix de la conscience, la tranquillité et la joie qui se trouvent dans une vie non feinte : celui-là, est beaucoup plus agréable à Dieu, et lui plaît davantage, que les hommes vulgaires d'un ordre inférieur. Et tandis qu'ayant levé les yeux en haut, au-dessus de toutes les bonnes actions extérieures et de toutes les vertus intérieures, il considère et contemple fidèlement dans la foi chrétienne, son Dieu, le recherchant intentionnellement et amoureusement, audessus de toute chose ; et que, persévérant dans cette recherche il en fait sa préoccupation constante, alors il atteint le troisième degré, dans lequel toute vie active est consommée : et on le compare avec raison, au troisième choeur de la hiérarchie intérieure des anges. Quand les vertus sont parfaites. Alors, en effet, toutes les vertus sont parfaites, lorsque quelqu'un s'offre à Dieu par ce pacte, le contemplant et l'aimant plus que tous les autres biens. Ainsi nous avons une vie active, parfaite et absolue, de trois ordres, pour nous conduire à la vie éternelle, par des degrés toujours plus hauts, suivant que nous sommes plus méritants en grâce, et plus dignes devant Dieu. Si tu expérimentes en toi cette vie, et si tu désires t'y assujettir et t'y soumettre, il importe que tu sois libre et dégagé de toi-même et de toutes créatures, de toute sollicitude désordonnée et de tous soins, sans nulle complaisance propre ; et que tu considères Dieu, que tu le recherches amoureusement et intentionnellement, que tu le serves et que tu l'honores, et que tu désires sa gloire au-dessus de tout. De cette manière tu pourras te maintenir et demeurer stable et ferme en sa présence, avec une révérence et une vénération éternelle.


CHAPITRE XI - Que d'aucuns sont grands à leurs propres yeux, tandis qu'ils sont en proie à des vices monstrueux

Des hommes qui se complaisent en eux-mêmes.
Il y en a beaucoup qui se complaisent en eux-mêmes, et qui pensent qu'ils sont élevés dans les hautes régions de vie et devant les yeux de Dieu, lorsque cependant ils sont engagés dans de multiples erreurs. Ceux, en effet, qui sont immortifiés et irrésignés de leur nature, ne sont nullement élevés en grâce, ni exercés à vivre devant l'excellence de la divine Majesté. Racines principales de tous les vices. Et bien qu'ils soient doués d'une intelligence vive, et subtils pour la lumière de la raison, cependant ils se complaisent sur eux-mêmes, et ils désirent de plaire aux autres, ce qui est le moyen de se détourner de Dieu, et la racine principale de tous les vices. Et de là vient qu'ils désirent l'emporter sur les autres, et bien plus, être choisis de préférence à tous, pour les dominer s'il se peut. Ils ne se soumettent et n'obéissent volontiers à personne, mais ils désirent plutôt que tous les mortels souscrivent à leur jugement et les secondent, quand ils sont livrés à la contention et à la volonté propre. Ils pensent que toujours leurs jugements sont justes, et que tous ceux qui les contredisent sont dans l'erreur. Ils s'émeuvent facilement, se troublent, se fâchent, non seulement par des gestes et des paroles, mais méchamment par des actes ; et se conduisent dédaigneusement et sévèrement ; ce qui fait qu'on ne peut avoir avec eux une vie paisible. Mais pour l'amour d'eux-mêmes et de leur tranquillité, ils sont très habiles.

Car ils observent attentivement et diligemment tous les autres, mais eux-mêmes nullement. Pour ce motif, ils sont agités de mille soupçons de jalousie, de déplaisir et de mépris envers ceux qui ne leur sourient pas assez : ils sont comme piqués d'un aiguillon, tourmentés et troublés en eux-mêmes de dissensions intérieures et de vices.

Car ils sont persuadés, qu'ils connaissent mieux les choses et qu'ils les font mieux que les autres. Ils sont prompts à instruire, à régler, à réprimander, à infecter de calomnies les autres ; mais eux-mêmes ne souffrent d'être instruits, dirigés, réprimandés par personne, car ils se croient les plus sages de l'univers. Ils persécutent et méprisent les inférieurs et les égaux, qui ne les honorent pas ou qui ne les estiment guère. Ils infestent et maudissent les autres, et souvent ils sont d'un esprit tortueux, insensible et cruel, parce qu'ils manquent intérieurement de l'onction du Saint-Esprit. Quand ils sont avec les autres, même ceux qui sont bons et craignent Dieu, ils revendiquent pour eux, dans le discours, la première place : car ils pensent que ceux qui parlent les premiers sont les plus dignes, comme étant les plus sages selon leur jugement, ainsi que je l'ai dit. Ils cachent leur orgueil par des manières et des gestes humbles, et leur envie sous les aspects et les apparences de la justice. Ils se montrent très amis et très unis de ceux qui les adulent et leur font du bien. S'ils ont quelque affaire à traiter ou à expédier, ils sont préoccupés et distraits intérieurement, et ils sont tourmentés de soins et d'une sollicitude immodérée.

Cause de la crainte désordonnée
Ils contractent parmi les choses terrestres, comme les hommes mondains, tantôt de la joie, tantôt de la tristesse. Quand ils sont loués ou blâmés en face, ils trahissent facilement ce qu'ils sont. Ils sont pris d'une sollicitude anxieuse, et ils craignent beaucoup pour eux de la maladie, de la mort, de l'enfer, du purgatoire, du jugement, et de la justice de Dieu. Et parce qu'ils sont curieux en eux-mêmes, ils ont peur, ils tremblent, et ils augurent mal de tout ce qui peut arriver. Car ils s'aiment d'une manière désordonnée, non pour Dieu et à cause de lui ; et c'est pourquoi ils sont timides par nature, et ne sont ni libres ni expérimentés dans les choses de Dieu. Ils sont affligés de toutes sortes de craintes, de soins superflus et étrangers, pour les choses temporaires et mondaines. Ils appréhendent les mauvais maîtres ; craignent d'être privés de leur fortune et de leur vie ; que leurs biens soient enlevés furtivement et détenus par les autres ; ou qu'ils soient mal payés ; et qu'ainsi, réduits à l'indigence, malheureux et méprisés, ils soient atteints par la vieillesse et les maladies, enfin privés du soutien, du soulagement des amis, et des biens temporels. Tous ces soins sont vains, superflus et insensés, ils consument les vieillards avares et insensés, et en privent quelques-uns même de leurs facultés. Craintes frivoles de certains religieux. On trouve même des hommes ainsi faits dans les ordres monastiques et les maisons religieuses : ils appartiennent à la foule de ceux qui, non seulement obéissent à leur volonté propre et ne sont pas morts à eux-mêmes, mais craignent et redoutent, que de leur vivant, on découvre ou l'on n'institue des prélats et des supérieurs qui les répriment et les condamnent ; et ils pensent ne pouvoir supporter avec longanimité (cette disgrâce). Et c'est ainsi qu'ils songent en leur âme, quand quelqu'un leur est contraire : S'il m'arrive que cet homme devienne mon maître, pourrai-je lui être soumis et obéissant ? Car il ne m'aime pas, et toutes les fois qu'il le pourra il m'affligera, m'accablera et me méprisera ; et tous ceux qui seront ses amis, penseront comme lui, et seront mes adversaires.

A cause de cette crainte anxieuse, leur sang se révolutionne, ils deviennent impatients, et se parlent ainsi à eux-mêmes : Je ne pourrai supporter cela, sans devenir totalement fou, ou sans changer de monastère. Et ce sont des craintes insensées, et une prudence désordonnée qui tire son origine du fond d'un coeur superbe.

Mais ceux qui seraient préposés au-dessus des autres, accableraient et mépriseraient tous ceux qui leur seraient contraires, et ne s'inclineraient pas devant leur sentiment ; et cela, parce qu'ils croient pouvoir mieux que quiconque, ordonner et régler sagement et justement toute chose. Ce qui fait que souvent ils accusent et calomnient leurs prélats et leurs supérieurs, qui leur demandent des offices ; et cela, non seulement dans leurs propres coeurs, mais auprès de ceux qui écoutent librement de telles choses. Ils supportent malaisément que quelqu'un soit loué de ceux qui sont présents, car ils pensent qu'ils perdent ainsi une part de leur considération. Et on ne peut leur persuader de quelqu'un, qu'il a un genre de vie plus sublime qu'ils ne l'envisagent et ne le comprennent eux-mêmes. Ils se croient donc plus prudents et plus sages que tous ceux qui vivent avec eux, bien qu'ils soient entièrement incapables, inhabiles, inexpérimentés et désordonnés, dans l'art d'obtenir la vraie sainteté. Que chacun donc éprouve, examine, considère et juge son esprit, sa nature ; pour savoir si, par hasard, il ne reconnaît et ne découvre en lui quelqu'un de ces vices. Car tout ce qui est de cette sorte doit être détruit, combattu et vaincu, si l'on veut atteindre la sainteté. Il est nécessaire que nous mourions aux vices, si nous voulons vivre pour Dieu. Il importe que ni la prospérité ni l'adversité ne nous retiennent et ne nous amusent de vaines images, si nous voulons entrevoir le royaume des cieux. Il faut que nos coeurs, nos affections et nos désirs, étant détournés des choses terrestres, soient portées vers le vrai Dieu et les choses éternelles. Afin que nous soyons dignes de goûter Dieu, il nous faut abandonner tout le monde : ce que Dieu aime doit être aimé ; ce qu'il déteste doit être détesté ; afin que nous puissions être mis en puissance et en possession de Dieu. Enfin, il importe que nous nous renoncions nous-mêmes, si l'Esprit de Dieu doit avancer en nous, pour nous justifier et nous dégager de tout : cela fait, nous pourrons alors le souffrir, le suivre au-delà de tout les cieux, et nous unir sans division avec lui ; et par là nous le bénirons, et dans la paix, nous entendrons la mélodie céleste raisonnant d'une sextuple voix et de multiple harmonies.


CHAPITRE XII - De la mélodie céleste qui résonne d'une sextuple voix

Car notre Père céleste nous a appelés et nous a élus dans son fils très aimant, de toute éternité, et il a inscrit nos noms, par le doigt de sa charité, dans le livre de vie de la sagesse éternelle, et nous lui répondrons à lui, l'Eternel, par toutes nos facultés, avec un respect infini et un désir constant de vénération : ce qui est le commencement de tout cantique, soit de la part des anges, soit de la part des hommes justes ; et ce cantique n'aura pas de fin. Premier mode de la céleste mélodie. Mais le premier mode de la céleste mélodie, est l'amour de Dieu et du prochain ; et pour nous l'apprendre, Dieu, le Père, daigna envoyer dans le monde son fils ; et c'est lui qui nous l'a enseigné. Quiconque est inexpérimenté et ignorant de ce chant, ne pourra pas s'unir aux choeurs célestes : car celui qui n'est doué ni de la science, ni de la manière qui convient à ces choeurs, en sera toujours exclu. Le Seigneur Jésus lui-même qui nous a aimés d'un amour éternel, ayant été conçu dans le sein très pur de sa très digne mère, a chanté en esprit, gloire et honneur à Dieu son Père, et paix et bonheur à tous les hommes de bonne volonté ; et les esprits Angéliques chantèrent aussi la même cantilène, en cette même nuit où il naquit de la vierge Mère ; et la Sainte Eglise Catholique, non oublieuse de ce (mystère), chante en ces deux fêtes ce même cantique. Quelle est la plus haute et la plus douce voix ? En effet, aimer Dieu et le prochain pour Dieu, à cause de Dieu et en Dieu, c'est la plus haute et la plus douce voix, qui puisse se faire entendre dans le ciel et sur la terre. Quel est le chant que le Christ nous module. Mais le mode et la science de ce chant c'est le St-Esprit. Or, le Christ Jésus, qui est notre chantre suprême, notre maître et notre modérateur, a chanté dès le commencement, et il nous chantera éternellement le cantique de fidélité et d'éternelle charité ; et nous le suivrons dans cette vie et dans le choeur de la gloire de Dieu, par toute la vertu de nos forces.

1er mode : Louange de la charité.
Sans doute, la charité véritable, sincère, nullement feinte, est ce chant commun, pour lequel il importe que nous tous nous soyons habiles, si nous voulons être admis dans le choeur du royaume des cieux, avec les esprits angéliques. La charité, en effet, est au dedans la source et la racine de toutes les vertus ; mais au dehors, elle est l'ornement et la véritable manifestation de toutes les bonnes oeuvres. La charité est sa propre vie et sa propre récompense. L'exercice de l'amour ne peut errer, que le Christ lui-même, avec tous ses élus, nous a enseigné par sa vie, ses discours, ses exemples, que nous devons tous imiter, si nous voulons être sauvés et jouir avec eux de la béatitude.

2e mode : Louange de l'humilité.
Et c'est le premier mode des cantiques célestes, que l'Eternelle sagesse de Dieu enseigne, par le Saint-Esprit, à tous ses disciples qui se conforment à sa règle. Il y a ensuite une autre méthode de la céleste mélodie qui est : le mépris sincère et non simulé de soi-même, que nul ne peut relever ni diminuer, car elle est la racine, le fond sans fond de tout l'édifice spirituel, le ton et la clef de tout chant céleste, s'harmonisant merveilleusement et suavement avec toutes les vertus ; étant le manteau et l'ornement de la charité, et la voix très douce qui se fait entendre en la présence de Dieu. Ses harmonies sont si suaves, si douces, si prenantes et d'un tel attrait, qu'elles ont engagé le Fils de Dieu lui-même, qui est la sagesse éternelle, à prendre notre nature. Car, après que la Vierge très pure eut proféré ces paroles : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum ; Dieu fut à ce point vaincu, qu'il voulut remplir de son éternelle sagesse, le très humble lit nuptial de cette même Vierge très sainte ; et par cela même, celui qui est le Très Haut, bien plus, la grandeur même, se fit très petit et très humble, le Fils de Dieu s'abaissant et se faisant serviteur, et nous élevant jusqu'à la forme divine : au point de descendre et de s'humilier au-dessous de tous les mortels et, s'étant
méprisé lui-même, de nous servir jusqu'à vouloir souffrir la mort. Celui qui désire se conformer à lui et le suivre, doit nécessairement se renoncer et se mépriser, jusqu'au point de chanter ce cantique d'humilité nullement feinte et déguisée ; et il faut aussi qu'il désire et qu'il aime être ignoré, méprisé, et rejeté au-dessous de tous les mortels. Car l'humilité n'est troublée ni par la prospérité, ni par l'adversité, ni par la joie, ni par la tristesse, par l'honneur ou l'ignominie, ni par rien de ce qui n'est pas elle. Elle est le don très excellent, et le très bel ornement que Dieu donne à l'âme qui aime s'abaisser. Elle est enfin la plénitude de toute grâce et de tous les dons ; et quiconque reste et se complait en elle, ne fait qu'un avec elle, et trouve la paix éternelle. 3e mode : Le troisième mode de la céleste mélodie, c'est lorsque nous renonçons à la volonté propre, et aussi à toute propriété ; et nous soumettons avec résignation notre nature à la gracieuse volonté de Dieu, prêts à supporter tout ce qui dépendra de sa volonté. Et bien que, en ces choses, la nature souffre et se plaigne, en portant la croix et en suivant le Christ jusqu'à la mort, l'esprit cependant se réjouit, en faisant un sacrifice si volontaire. Et bien que la nature, quand nous sommes affligés et accablés, pleure et geigne, après cela, nous exulterons dans la gloire de Dieu, lorsque le Seigneur Jésus essuiera toutes les larmes de nos yeux ; et nous montrera qu'il nous a achetés de son Père par son sang précieux, et qu'il a payé notre (dette) et satisfait (à sa justice) par sa mort ; lorsque nous chanterons avec lui par la souffrance volontaire, la chansonnette émérite, qui convient à la nature humaine, et non à la nature angélique ; et que pour la grandeur et la multitude de nos labeurs, de nos tourments et de nos souffrances, l'honneur, la gloire et la récompense seront infinis. Et le Christ jouera le rôle de chantre et d'intonateur ; et il chantera avant nous, parce qu'il est le prince (l'instigateur) de toute souffrance volontaire et libre, qui ait jamais été tolérée par amour, pour la gloire de Dieu ; et sa voix est claire et très belle et d'un son très agréable, et il est très expert dans les chants célestes ; il connaît bien les tons, les modulations et les variétés des chants. Et nous chanterons tous ensemble avec lui, et nous ferons entendre des actions de grâce et des louanges à Dieu le Père céleste, qui nous l'a envoyé. Car il fallait que le Christ souffrît et qu'il entrât ainsi dans sa gloire : Luc XXIV 26 oportuit Christum pati, et ita intrare in gloriam suam ; et ainsi, nous-mêmes nous devons souffrir librement, afin de nous rendre semblables à lui, et de le suivre dans sa gloire et celle de son Père, avec lequel il ne fait qu'un dans la même jouissance du Saint Esprit, où nous tous, nous chanterons au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, chacun spécialement en son esprit, suivant le mérite d'un chacun et sa dignité auprès de Dieu. 4e mode : Suit de là le quatrième mode des chants célestes, le plus intime, le plus excellent et le plus élevé, se consumer en la louange de Dieu. Comment Dieu est avare et libéral : Notre Père céleste est avare et libéral : Car il donne libéralement à ses bien aimés, qui s'élèvent en esprit et marchent en sa présence, sa grâce, ses dons et ses présents ; et à son tour, il exige de chacun qu'il lui rende grâce, qu'il le loue et s'acquitte des bonnes oeuvres, en tant que chacun a été comblé extérieurement ou intérieurement par Dieu. Car la grâce de Dieu n'est pas donnée en vain et inutilement.

Si nous la prenons en considération, elle se répand continuellement sur nous, et elle nous comble de ce dont nous avons besoin ; et à son tour, elle nous réclame tout ce que nous sommes capables de donner ; et dans ces deux actes, toutes les vertus sont exercées et cultivées.

Comment Dieu est l'avarice et la libéralité même.
Et au-dessus de toutes les actions et de tous les exercices des vertus, notre Père céleste manifeste spécialement à ceux qui lui sont chers, en donnant et en exigeant, non seulement qu'il est libéral et avare, mais qu'il est l'avarice et la libéralité même, car il veut se donner tout entier et tout ce qu'il est à nous ; et il demande, à son tour, que nous nous donnions à lui entièrement et tout ce que nous sommes ; et ainsi, son esprit et sa volonté est, que nous soyons entièrement siens et qu'il soit entièrement nôtre, chacun toutefois restant ce qu'il est. Car nous ne pouvons pas en effet devenir Dieu, mais nous sommes unis à Dieu par un moyen (medium), et sans moyen (absque medio).

Que nous sommes unis à Dieu par un moyen.
Nous lui sommes unis par sa grâce, et nos bonnes oeuvres ; et par un mutuel amour ; c'est-à-dire, par sa grâce et nos vertus, lui-même vit en nous et nous en lui : nous lui sommes soumis et obéissants ; et pour cela, d'une seule volonté avec lui, en tout bien. Son esprit et sa grâce opèrent toutes nos bonnes oeuvres, même plus particulièrement que nous-mêmes. Sa grâce en nous, et notre charité envers lui, est une oeuvre à laquelle nous contribuons ensemble. Et, en vérité, notre amour envers lui-même est une action très élevée et très excellente, que nous pouvons éprouver entre Dieu et nous. L'esprit de Dieu exige de notre esprit, que nous aimions Dieu, et que nous lui témoignions nos louanges et nos actions de grâce, en raison de sa grandeur et de sa sublimité ; mais en cela, tous les esprits d'amour, au ciel et sur la terre, sont impuissants, car ils s'épuisent eux-mêmes et ils consument tous leurs forces, devant l'infinie et l'immense hauteur du Dieu tout puissant. Et c'est le moyen (de communication) le plus noble et le plus élevé entre Dieu et nous ; et ici la grâce de Dieu avec toutes les vertus seperfectionne et se consomme. Or, au-dessus de ce moyen, au-dessus de la grâce et de toutes les vertus, nous sommes unis à Dieu sans moyen. Si toutefois nous gravons profondément l'image de Dieu dans notre âme, et par là nous sommes unis à Dieu sans moyen, nous ne devenons pas Dieu, mais nous gardons toujours sa ressemblance, et lui-même vit en nous et nous en lui par sa grâce et nos bonnes oeuvres. Ainsi donc nous sommes unis à Dieu en dehors du moyen, au-dessus de toutes les vertus, dès que nous portons son image dans les plus hautes régions de notre essence créée. Mais cependant nous restons toujours en nous mê mes, unis et semblables à lui, soit par sa grâce, soit par notre vie vertueuse. Et par ce pacte nous demeurons éternellement semblables à Dieu, dans la grâce et dans la gloire ; et au-dessus de la ressemblance, nous sommes un avec lui, notre éternel idéal et notre exemplaire. Et cette unité de vie ou cette union avec Dieu est dans notre essence, et nous ne pouvons la saisir et la comprendre. Elle prélude à toutes nos puissances, et réclame de nous que nous soyons un avec Dieu, sans moyen. Mais cela nous ne pouvons pas le faire. Nous suivons donc Dieu dans un certain repos de notre essence. Et, dans ce repos, l'esprit du Seigneur avec tous ses dons se complait et pénètre de sa grâce et de ses dons toutes nos puissances, et réclame de nous l'amour, la louange, l'action de grâce ; et lui-même habite dans notre essence, il exige de nous le repos (la quiétude) et que nous lui soyons unis au-dessus de toutes les vertus. Le jeu intime de l'amour. Ce qui fait que nous ne pouvons rester en nous avec les actes bons, ni au-dessus de nous avec Dieu, dans le repos. Et c'est là le jeu intime de l'amour. Car l'esprit du Seigneur agit sans cesse et il veut que nous aussi nous agissions toujours, et que nous lui soyons semblables. Et cette paix, cette jouissance du Père, du Fils et de tous leurs bien-aimés, est la même dans l'éternel repos. Or la jouissance est supérieure à nos actes, et nous ne pouvons la saisir et la comprendre, et nos actions sont toujours au-dessous de la jouissance, et nous ne pouvons les amener à la jouissance. Nous défaillons toujours dans l'action, et nous ne pouvons en effet aimer Dieu suffisamment. Mais dans la jouissance, c'est assez et il nous suffit, et nous sommes là ce que nous voulons.

Et c'est là le quatrième mode des chants célestes, le plus excellent et le plus élevé de tous ceux qui se font entendre dans les cieux et sur la terre. Mais il faut savoir que ni Dieu, ni les anges, ni les âmes des bienheureux, ne chantent avec des voix corporelles, puisque ce sont des esprits, et qu'ils n'ont ni bouche, ni oreilles, ni langue, ni gosier, avec lesquels ils puissent chanter. Néanmoins, l'écriture divine affirme que Dieu, avant de prendre la nature humaine, parla de diverses manières avec des paroles sensibles, à Abraham, à Moïse, aux Patriarches et aux Prophètes. Et la Sainte Eglise déclare que les Anges chantent sans fin : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées : Apoc. IV-8 Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth. Luc. 1-26 De même l'Archange Gabriel apporta la nouvelle à la Vierge très sainte, qu'elle enfanterait le Fils de Dieu par la vertu du St-Esprit. L'on dit aussi que les anges enlevèrent au ciel, avec des cantiques, l'âme du bienheureux évêque Martin. Enfin la très sainte Marie Magdeleine se repaissait tous les jours des cantiques des anges. Les bons et les mauvais esprits et les âmes dépouillées de corps, peuvent donc, avec la permission de Dieu, apparaître aux hommes sous n'importe quelle forme ; mais cela n'est nullement nécessaire dans la vie éternelle. Combien grande la gloire et la béatitude de la vie future. Là, en effet, nous contemplerons, de la manière que nous le voudrons et comme nous le désirerons, de nos yeux intellectuels, la gloire en commun de Dieu, des anges, et des saints, et les récompenses et la gloire d'un chacun en particulier. Mais au jour du jugement dernier, après que, par la vertu du Seigneur Jésus, nous serons ressuscités avec nos corps glorieux, nos mêmes corps seront comme une neige très blanche et très pure, plus resplendissants et plus lumineux que le soleil, et transparents comme le cristal. Et chacun aura ses signes, ses marques particulières d'honneur et de gloire, suivant les multiples manières par lesquelles il aura enduré, volontairement et librement, les peines du martyre, où les autres afflictions et douleurs, pour l'honneur de Dieu. Car chaque chose aura son rang et sa récompense, comme le décidera l'éternelle sagesse de Dieu, et suivant l'excellence et la noblesse de nos bonnes oeuvres. De quelle manière Notre Sauveur doit chanter éternellement le Cantique. Et le Christ Jésus, notre chantre, celui sur lequel nous devons nous guider, chantera de sa voix glorieuse et suave, l'éternel cantique, à savoir : l'hymne d'honneur et de louange à son très saint Père céleste ; et nous tous nous continuerons, pour le poursuivre éternellement, le même cantique dans l'allégresse de nos âmes et avec des voix harmonieuses. Mais la joie et la gloire de nos âmes rejaillira sur nos sens, et par eux pénètrera tous nos membres, et nous nous contemplerons mutuellement avec des yeux (illuminés) de gloire, et nous entendrons la louange de notre Dieu, et nous la proclamerons, et nous la chanterons de nos voix jamais défaillantes. Et le Christ Jésus nous servira, et nous montrera sa face resplendissante et son corps glorieux, avec ses stigmates d'amour et de fidélité ; et de même nous contemplerons tous les corps glorieux, et tous les signes de l'amour avec lesquels ils servirent Dieu, depuis le commencement du monde ; et toute notre vie sensible intérieure et extérieure sera remplie de la gloire de Dieu, et nos coeurs pleins de vie brûleront d'un ardent amour envers Dieu et tous les saints ; toutes les puissances de nos âmes seront remplies de gloire, ornées des dons de Dieu, et de toutes les vertus qui ont été réalisées depuis le commencement. Et audessus de toutes ces choses nous serons absorbés, en esprit, dans la gloire incompréhensible de Dieu, qui n'a ni fond, ni borne, ni mesure ; et nous en jouirons éternellement avec Dieu.

Choeur des hommes, choeur des anges.
Mais le Christ dans l'humaine nature dirigera le choeur de droite, à savoir : celui qui est le plus élevé et le plus illustre de tous ceux qui ont été créés par Dieu ; et à ce choeur appartiendront tous ceux dans lesquels il vit, et qui vivent en lui. L'autre choeur est assigné aux esprits angéliques. Car bien qu'ils soient d'une nature plus excellente et supérieure, cependant nous sommes comblés de dons plus sublimes, dans le Christ Jésus avec lequel nous ne sommes qu'un. Et c'est pourquoi, le Christ Jésus sera le Pontife suprême, entre les choeurs des anges et des hommes, devant le trône de la Toute-Puissance de Dieu ; et il renouvellera, pour les offrir à nouveau, tous les sacrifices qui ont été offerts en tout temps, soit par les anges, soit par les hommes ; ils seront renouvelés sans fin pour la gloire de Dieu, et ils resteront fixés éternellement.

Ainsi nos corps et nos sens avec lesquels nous servons Dieu, seront remplis, de gloire et de béatitude, comme le corps du Christ avec lequel il a servi Dieu, et nous, est glorieux ; et les esprits de notre âme seront glorieux, avec lesquels nous servons Dieu maintenant et pour toute l'éternité, et nous rendrons louange et gloire, comme l'âme du Christ et les anges et tous les esprits qui aiment et louent Dieu, en lui rendant grâces, sont bienheureux et glorieux. Enfin, par le Christ, nous l'emporterons sur tous en esprit et en Dieu, et nous serons un avec lui, jouissant avec lui de l'éternelle béatitude. Mais c'est assez parler du cinquième degré de notre échelle céleste.


CHAPITRE XIII - Du sixième degré de l'Amour

Trois propriétés de l'âme contemplative.
Montons enfin au sixième degré : c'est la claire et lucide contemplation ou vision, la pureté de l'esprit et le dépouillement de l'âme, qui sont les trois propriétés de l'âme contemplative, qui découlent de la source de vie, où nous sommes unis à Dieu, au-dessus de la raison et de tous les exercices de l'amour. Quiconque désire en faire l'expérience, doit nécessairement offrir à Dieu toutes ses vertus et toutes ses bonnes oeuvres, s'offrir et se résigner à la libre puissance de Dieu, même sans la considération d'aucune récompense, au-dessus de toute chose ; et il faut qu'il procède sans cesse dans l'ardente vénération de Dieu sans vue rétrospective. Comme nous nous sommes préparés à la vie contemplative. C'est ainsi qu'il devra se préparer, par la divine grâce, à la vie contemplative, s'il veut l'atteindre. Il importe que sa vie extérieure et sensible soit bien réglée, et bien ordonnée, dans tous les actes bons, envers tous les hommes ; et que sa vie intérieure soit pleine de grâce et de charité, exempte de toute simulation, douée d'une intention droite et riche de toutes les vertus. Que sa mémoire soit libre, délivrée des soins, de toute sollicitude, des préoccupations, et dépouillée de toute vaine imagination ; Son esprit libre, ouvert et élevé au-dessus de tous les cieux ; Son âme tranquille de toute considération, et dénuée en Dieu qui est la citadelle et l'enclos des esprits aimants, où tous les esprits purs se réunissent dans la simple pureté ; et c'est l'habitacle de Dieu en nous, et nul autre que Dieu seul ne peut y pénétrer. Cette pureté est éternelle, et en elle il n'y a ni temps, ni lieu, ni passé, ni avenir, mais elle est toujours présente, disposée et manifestée aux esprits purs élevés jusqu'à elle. En elle nous sommes un, vivant en Dieu et Dieu en nous. Cette unité simple est toujours claire et manifeste, pour les yeux de l'âme, dans la pureté de l'esprit ; et là l'air est pur et serein, éclairé de la lumière divine ; et, les yeux transformés et illuminés, nous contemplons là, attentivement, l'éternelle clarté ; et là tout est un, une la vérité, une l'image dans le miroir de l'éternelle sagesse. Pourquoi nous avons été créés par Dieu. Nous avons été créés par Dieu, afin de retrouver cette image, de la connaître et de la posséder dans notre essence et la pureté de notre esprit ; et lorsque nous la voyons et nous l'éprouvons, dans la divine lumière de ces mêmes yeux simples de l'âme, alors nous sommes parvenus à la vie contemplative. Mais là, quelque chose est encore requis, c'est la pureté de l'esprit.

Ce qui sert la vie comtemplative.
Si l'esprit en repos est dépouillé de formes et d'images, si la contemplation est claire et évidente dans la lumière de Dieu, et si l'âme est pure et élevée en la présence de Dieu : ces trois choses, dis-je, unies ensemble, sont vraiment la vie contemplative dans laquelle nul ne peut errer. Car le pur esprit s'incline toujours, et suit avec un amour sans réserve l'intelligence claire et illuminée dans son principe. Mais notre Père céleste est le principe et la fin de tout ce qui est. En lui nous commençons tout bien, dans le dépouillement de l'esprit, et dans la vision claire des images. Or dans son Fils nous contemplons toute vérité, dans la divine lumière avec une intelligence claire et illuminée. Et dans le Saint-Esprit, nous perfectionnons et nous consommons tous nos actes, dès que nous nous élevons en la présence de Dieu, par l'amour sans réserve des esprits ; et en même temps, nous nous dépouillons de la multitude des choses terrestres et de toute préoccupation. C'est là, en vérité, la vie contemplative si importante. Car l'amour conseille à tout moment de commencer et de finir. Et c'est le sixième degré de notre échelle céleste.


CHAPITRE XIV - Du septième degré de l'Amour : qu'est la contemplation sublime, tant de la vie présente que de la vie future ?

 

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